Où mon inspectrice me mène en bateau

En cinq ans, tous les établissements scolaires de France doivent s’auto-évaluer.

Je crois que mon inspectrice me mène en bateau. Lors d’une réunion avec mes collègues de l’école, elle nous tint à peu près ce langage  : “On ne va pas se mentir, c’est la cata. Dans le classement des trucs qui ne sont plus du tout à la mode, le service public d’éducation se classe largement en première place. Ça coûte un bras en salaire, en investissement et je ne vous parle même pas du chauffage. Heureusement qu’on ne forme pas nos profs et qu’on ne leur propose pas de médecine du travail sinon on aurait déjà bouffé la culotte. »
Mon inspectrice se leva, tira sur la veste de son tailleur vert reine d’Angleterre, ajusta son brushing et poursuivit :
« Enseigner, c’est beau, c’est noble, c’est tout ce que vous voulez mais ça ne rapporte pas de richesse. Apprendre à écrire -ent à la fin d’un verbe à la troisième personne du pluriel, je ne dis pas que ça ne sert à rien, je dis juste que ça fait cher payé pour une simple terminaison. C’est comme si vous demandiez à une entreprise d’espaces verts de passer chez vous chaque samedi pour arroser les deux ficus dans le salon.”

Ce ne sont pas exactement les termes tenus par mon inspectrice mais c’était le sens de son propos. Pour être tout à fait précis, elle déclara : “Chèr(e) collègues enseignants, merci d’avoir pris le temps de participer à cette réunion. Merci aussi pour votre travail quotidien et votre investissement pour la réussite de nos élèves… »
Interrompons l’intervention de mon inspectrice pour préciser qu’en général, autant de caresses liminaires dans un discours préfigure une mauvaise nouvelle, une caresse avant un bonne baffe. Ecoutons la suite :
« Ces cinq prochaines années, l’Education nationale demande à chaque établissement scolaire de s’auto-évaluer. Chaque école analysera ses résultats, sa place dans l’environnement ou l’efficience de son organisation. Ainsi, grâce à votre implication, nous publierons à la fin du quinquennat une synthèse de vos réflexions qui proposera des améliorations du service public d’éducation. Vous le voyez, l’Education nationale est la priorité du gouvernement.”

L’inspectrice partie, nous commençons le travail d’auto-évaluation. Nous analysons les résultats des élèves et la température de l’eau dans les toilettes. Nous évaluons l’impact de notre enseignement ainsi que la surface de la cour de la récréation. Scrupuleusement, nous suivons chaque item du guide officiel conviant chaque équipe à s’approprier et à faire sienne cette démarche d’auto-évaluation, ce qui en langage Education nationale signifie : On vous a pondu un pensum de 40 pages, maintenant démerdez-vous avec.
Le mercredi matin, dès potron-minet, nous comptons le nombre de spams reçus chaque jour sur notre boite mail, inventorions le nombre de feutres dans chaque classe ou la quantité pléthorique de mugs Merci pour cette année prenant la poussière sur les étagères. Un à un, avec force et détermination, nous entreprenons également de compter le nombre de poils sur le cul de Roger, le gars de la mairie.

Nous sommes toutes et tous dans le même bateau. On liste, on compte, on bourre des données dans des tableurs mais nous savons tous combien ce travail est vain. A la fin du quinquennat, le conseil d’évaluation de l’école publiera des conclusions déjà rédigées. Dans ce document qui attend son heure de gloire dans un placard rue de Grenelle, on y propose des fermetures et des fusions de sorte à créer des super écoles dirigées par des super managers dont certains seront nommés manager du mois si leur super école obtient de meilleurs résultats que la super école voisine aux évaluations nationales.
En attendant, on évalue, on s’auto-évalue.
Mon inspectrice nous mène en bateau, et le bateau coule.

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