Où j’ai besoin d’amour. Au secours, j’ai besoin d’amour
Ma crise existentielle à Monopolis.
La semaine dernière fut marquée par un bon moment et un mauvais moment. Je commence par le mauvais. J’ai eu 50 ans. Je ne pensais pas que ça m’arriverait un jour mais je suis aujourd’hui un prof de 50 ans avec une barbe grisonnante, une claque.
Le bon moment ? Je suis allé voir Starmania à Bruxelles, une claque aussi. J’ai eu plusieurs fois les larmes aux yeux. Parce que le spectacle est incroyable, parce que je termine l’écriture d’un gros projet qui m’épuise et parce que la dernière fois que j’ai vu Starmania sur scène, c’était en 1993, à Paris. J’avais 20 ans. J’étais jeune, encore étudiant et bientôt professeur, persuadé qu’une fois à l’Education nationale, j’allais changer le monde. 30 ans après, j’ai compris que notre ministère, c’est le monde décrit en 1975 par Michel Berger et Luc Plamandon dans Starmania. C’est Monopolis : le jour y est gris, la nuit y est bleue.
L’Education nationale, c’est la tour dorée de Zéro Janvier, ce sombre building de style expressionniste au centre de la scène. L’Education nationale, c’est cette verticale de verre et d’acier où l’on enseigne les uns contre les autres, mais au bout du compte, on se rend compte qu’on y est toujours tout seul au monde.
J’ai besoin d’amour. A 50 ans, je réalise que j’ai un passé à l’Education nationale, mais je n’y ai pas d’avenir. A 50 ans, et jusqu’à la fin de ma carrière, je n’aurais pas d’entretien professionnel avec un(e) supérieur(e) hiérarchique, pas de proposition d’évolution de carrière, aucune visite à la médecine du travail puisqu’elle n’existe pas. Jusqu’à la fin de ma carrière, je n’aurais toujours pas de réponse à mes mails envoyés, à mes SOS d’un terrien en détresse. Je devrais fonctionner, recevoir et appliquer les consignes de la tour dorée. Jusqu’à ma retraite, je vais finir seul dans ma classe comme Marie-Jeanne dans l’Underground café. Je vais devenir un prof automate qui n’a envie de rien, juste envie d’être bien. J’aimerais pourtant que l’Education nationale ait un peu d’ambition pour moi, un peu d’écoute, un peu d’amour. Car il n’est question que de cela, d’amour.
C’est tout le problème. L’Education nationale n’aime pas ses profs. Mon ministère n’a pas d’ambition pour moi, pas de désir, pas d’envie. Tout ce qu’il me propose, c’est d’augmenter mon salaire si je signe un pacte, si j’assemble des missions, si j’empile des briques. En gros, j’ai 25 ans d’expérience et mon patron me propose de jouer à Tetris.
On a tous besoin d’amour. L’Education nationale peine à maintenir allumée la flamme de ses enseignant(e)s en milieu et fin de carrière. Elle peine aussi à susciter le désir chez les plus jeunes d’exercer ce pourtant si beau métier. C’est un ministère de la vieille école, vertical, où je sens que je dégringole. Mais une histoire d’amour se construit à deux. C’est donc aussi de ma faute si nos planètes se séparent.
A 50 ans, j’aime toujours autant enseigner mais j’ai besoin d’eau, j’ai besoin d’air. Je grisonne de partout mais finalement, je ne me suis jamais senti aussi jeune. Je crois que j’aurais voulu être un artiste, pour pouvoir faire mon numéro, pour avoir le monde à refaire.
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