
Où je fais mon Cash Investigation sur les évaluations repères
Les évaluations nationales, la tannée de la rentrée.
Pour ce retour des chroniques de l’EN ordinaire, je vous propose une enquête, façon Elise Lucet, sur les évaluations repères de l’Education nationale.
Rappelons que ce dispositif, lancé en 2017, consiste à évaluer le niveau des élèves en CP. En 2018, se sont ajoutés les CE1. Aujourd’hui, de plus en plus de classes sont concernées et, en 2030, l’objectif du gouvernement est de faire remplir à chaque Français, de la maternelle à l’Ehpad, une évaluation avec des questions du genre : « Entoure l’image qui correspond à la phrase : La voiture dépasse le vélo, car son conducteur est ultrariche, et il fait ce qu’il veut, et il t’emmerde.
Pour mieux comprendre ce cauchemar des salles de classe que sont les évaluations repères, je vous propose de retracer le parcours en trois étapes.
ETAPE 1
La première période des évaluations nationales est nommée “semaine de passation”. Pendant une semaine, les élèves entourent des chiens dans des niches sur des livrets que la directrice de l’école est allée chercher elle-même à l’inspection. En effet, personne ne voulait les lui apporter, faute de frais de déplacement.
Des heures durant, les enfants entourent des chiens dans des niches ou comptent des voyageurs qui montent et qui descendent du train. Pendant qu’ils travaillent, le prof, livret en main, se demande pourquoi il se tape cette tannée tous les ans. Il a l’impression de perdre son temps, de n’être qu’un maillon anonyme et soumis dans un système hiérarchique qui l’exploite et le méprise. Alors, de rage, il se mordille l’intérieur des lèvres. Ca pique un peu, mais après, ça va mieux.
ETAPE 2
La deuxième partie de ce dispositif se nomme : “semaine de saisie”. Particularité : cette semaine dure 20 jours parce que le portail de saisie des résultats plante trois fois sur quatre. Alors, l’enseignant se mord à nouveau les lèvres, pleure un bon coup, puis recommence tout.
Une fois collectés, les résultats des élèves poursuivent trois voies différentes.
Première voie. Chaque prof reçoit chaque parent pour leur présenter une grosse toile d’araignée symbolisant les résultats de leur enfant. Si cette toile d’araignée est en noir et blanc, le professeur l’a imprimée à l’école. Si elle est en couleur, il l’a imprimée chez lui parce qu’il a envie de se la raconter un peu.
Si l’enfant a de bons résultats, c’est parce que ses parents sont profs. Ils lui ont fait faire les évaluations à l’avance.
Si l’enfant n’a pas de bons résultats, l’enseignant dit aux parents à la fin du rendez-vous : “Oui mais, ça ne veut rien dire parce qu’on a fait les évaluations en début d’année. Donc c’est pour ça. Allez au revoir.”
Deuxième voie. Tout au long de l’année scolaire, les enseignants s’appuient sur les résultats de l’école aux évaluations nationales pour orienter leur pédagogie. C’est du moins ce que pense l’inspectrice, persuadée que chaque enseignant de sa circonscription récite trois extraits du guide des évaluations repères avant de se coucher. En vrai, quand ils se réunissent pour analyser les résultats, les profs passent plus de temps en réunion à manger du cake aux pommes qu’à analyser chaque pourcentage de réussite. Sauf celui qui a imprimé les toiles d’araignée en couleur, mais c’est parce qu’il veut devenir maître-formateur.
Troisième voie. Cette troisième voie nous emmène dans le bureau de Corinne Pingeot. Chargée du Fichier Interministériel d’Observation Nationale (F.I.O.N.) Corinne Pingeot collecte les résultats de tous les élèves. Ensuite, elle balance tout dans Excel, imprime des tableaux, des courbes, des histogrammes de toutes les couleurs, puis rédige un communiqué qui dit qu’en gros, avant, c’était le bordel, mais depuis la nouvelle politique du gouvernement en matière d’éducation, ça progresse de ouf.
ETAPE 3
Enfin, la ministre de l’Education nationale se dandine de plateaux télé en studios radio pour expliquer que tout va bien, que le niveau scolaire est bon, que l’école de la République donne des moyens incroyables aux enseignants et que les nouveaux programmes, c’est de la bombe bébé. Et puis, à la fin de l’interview, Benjamin Duhamel dit :
– Merci pour tout ce que vous faites Madame la Ministre. Vos souliers, ça ira comme ça, ou je continue à les faire briller avec ma langue ?
Voilà rapidement tracé le parcours des évaluations repères. Voilà rapidement tracé le parcours des évaluations repères. Reste la question du coût. Si aucun chiffre officiel n’existe, une certitude demeure : en France, on préfère entourer des chiens dans des niches plutôt que donner des moyens aux écoles.
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