Maurice Barthélémy : A l’école, je voulais apprendre, mais je ne pouvais pas

L’auteur, acteur et réalisateur nous raconte ses souvenirs d’élève. On parle aussi dyslexie, hyper-sensibilité ou formation professionnelle…

« Le livret scolaire de Maurice Barthélémy » 

  • Bac B
  • Diplôme du cours Florent

Vous êtes né en 1969 à La Paz, où votre père était diplomate. Vous avez ensuite vécu trois ans au Maroc. Est-ce à Rabat que vous avez fréquenté l’école pour la première fois ?
Non c’est en France, puisque mon père, un vrai soixante-huitard, décide d’arrêter la diplomatie pour devenir menuisier. Une reconversion originale non ? Toute la famille rentre en France et on s’installe à côté de Compiègne. J’ai fait ma rentrée en Petite Section de maternelle vers 4 ans dans un petit village qui s’appelle Verberie. Ça n’a pas été très difficile pour moi, contrairement à mes grandes sœurs qui sont passées du statut de filles de diplomate au Maroc à filles de menuisier dans l’Oise.

Et quel élève étiez-vous en maternelle et en primaire ?
Un élève plutôt éveillé, parce que j’avais un univers familial très riche. Mes parents étaient des intellos de gauche qui recevaient chaque week-end une colonie d’invités à la maison. On était baigné dans un univers culturel très foisonnant. J’étais donc un gamin plutôt curieux de tout, voire même trop curieux, posant beaucoup de questions. En classe, j’étais un bon élève, mais un peu fourbe (rires). J’ai vite compris que plus on faisait des trucs en douce, plus on les obtenait rapidement. Je savais comment séduire le prof pour qu’il m’ait à la bonne. Ça me permettait de faire un peu le con derrière, mais gentiment. Pour moi jusqu’au CM2, c’était un amusement : tout m’intéressait, et j’aimais l’intimité de cette petite classe familiale en milieu rural.

C’était moins le cas au collège ?
C’est excitant le collège au début : on a plein de profs, un cahier de textes, un emploi du temps.  Mais il faut aussi entrer dans des disciplines qui m’intéressent moins. Le programme de maths, ça ne m’éclate pas beaucoup. Curieusement, je m’intéressais à une matière uniquement si j’aimais le prof, comme Mademoiselle Coste, ma prof d’Espagnole. Elle était généreuse, très féminine. J’étais content d’apprendre avec elle. De manière générale, j’avais quand même des profs passionnés. Ça a changé à partir de mon année de quatrième.

je suis hyper créatif et SURANGOISSÉ. je suis un zèbre.

Un changement qui s’explique par le déménagement de la famille Barthelemy à Paris ?
Je me retrouve au collège-lycée Jacques-Decour dans le 9ème. Et c’est une vraie rupture pour moi parce que je débarque dans un gros établissement, qui brasse énormément d’élèves. Je me sens complètement perdu. C’est une vraie rupture dans ma scolarité. Je me sens largué mais je ne le signale pas aux enseignants. Jusqu’au bac, ils me feront d’ailleurs remarquer que j’ai des capacités, mais que je ne travaille pas assez. Et c’est vrai qu’à cette époque-là, je n’étais pas bosseur. Les cours ne m’intéressaient pas et le rythme qui m’était imposé ne me correspondait pas du tout.

Comment expliquez-vous qu’en tant qu’élève, vous ne trouviez pas votre place ?
J’étais complètement dysorthographié, ce qui n’est plus le cas maintenant où j’ai une bonne orthographe. Avant, je faisais une faute par mot, et ça me complexait énormément. Mes parents n’ont pas du tout pensé à la dyslexie. De plus, j’étais incapable de me concentrer. J’ai découvert beaucoup plus tard que j’étais ce que l’on nomme aujourd’hui un surefficient. J’avais des énormes capacités pour comprendre, mais aucune faculté à m’adapter au système et à la demande de mes enseignants. J’étais un gamin complètement tiraillé entre une grande maturité et une véritable difficulté à rentrer dans les apprentissages. Je suis ce que l’on appelle un « zèbre » : quelqu’un d’hyper créatif, surangoissé par moment, avec les sens constamment en éveil. Bref, je suis un peu chiant à vivre : dès que je rentre dans une pièce, je peux être gêné par un bruit parasite ou une lumière un peu trop forte. Le soir, j’ai besoin de me coucher tôt parce qu’il faut que je mette mon cerveau en mode off. Et pendant la nuit, je vais me réveiller constamment parce que j’ai sans cesse des idées. 

En 1986, c’est l’année du Bac mais aussi l’année des grandes manifestations contre les lois Devaquet. Vous avez déclaré sur France info que vous étiez sur l’estrade avec le mégaphone à conduire la révolte sans même savoir de cette loi, qui rappelons-le, concernait la réforme des universités.
Mais oui totalement, et ça a été un vrai déclic pour moi. Je me suis rendu compte que j’étais capable de monter sur scène. Avec une copine qui elle était très militante, et qui m’avait quand même briefé rapidement, on se pointe au lycée Jacques-Decour un matin. On fait un piquet de grève en disant : « Personne ne passe ! ». Et à notre grande surprise, ça fonctionne du feu de Zeus. On se retrouve avec 300 ou 400 élèves dehors qui ne veulent pas rentrer. On décide alors d’aller réveiller les autres lycées du quartier, jusqu’à se retrouver en milieu d’après-midi avec 3 000 élèves dans les rues. Et moi, je suis en tête du cortège avec mon mégaphone à gueuler : « Devaquet, au piquet ! »

Cette période de votre jeunesse a été fondatrice dans ce que vous êtes aujourd’hui ?
Il y a à cette époque un événement très important, très tragique. C’est la mort de Malik Oussekine (étudiant victime de violence policière et décédé le 6 décembre 1986 ndlr). Je suis élève en première au lycée, et son décès a provoqué en moi une forte émotion et une gravité que je ne me connaissais pas. Je me suis aussi rendu compte que j’avais une capacité à être leader, à m’exprimer publiquement. C’est une période qui m’a fait grandir.

Et donc une fois votre bac B en poche, vous avez eu envie d’être comédien ?
Pas du tout. Ma mère était conteuse, et j’associais la scène à un stress. Il était donc hors de question que je fasse ce métier. Quand je passe mon bac, je n’ai aucune idée de ce que je vais faire ensuite. Je n’ai aucune passion, je ne suis pas un sportif, rien ne m’intéresse. J’ai une très grande envie de faire du cinéma mais ça me semble impossible parce que je ne sais pas comment y accéder. C’est à cette période que ma tante, qui m’a toujours vu jouer des spectacles dans ma chambre, me conseille de faire du théâtre. Je n’en ai aucune envie, mais pour lui faire plaisir, je vais assister à un cours de quartier. Et là, au bout d’un quart d’heure, je me rends compte que c’est ce que j’ai toujours souhaité faire. Je me l’interdisais, parce que je m’en croyais incapable. Une vraie révélation.

Viendra ensuite le cours Florent, où vous rencontrerez Marina, Elise, Pascal, Jean-Paul et PEF avec qui vous allez créer le spectacle fondateur Les Robins des Bois, une pièce d’à peu près Alexandre Dumas. Quand on regarde cette pièce de théâtre, on a l’impression d’observer une bande d’enfants de CE1 qui joue dans une cour de récréation.
C’est complètement ça. Le principe de notre pièce, c’était de jouer le personnage de Robin des Bois comme le feraient des enfants. Notre troupe, comme Eric, Ramzy, Jamel, Kad ou Olivier, étions tous dans un humour adulescent. Nous avions tous en commun le fait d’être adulte mais de jouer avec les codes propres aux enfants. Nous sommes arrivés à la télévision sur ce qu’on appelait « le câble », un espace de liberté où nous pouvions faire absolument n’importe quoi. Si on voulait montrer notre cul, on montrait notre cul. On se permettait des choses qu’on ne voyait pas ailleurs, et c’est ça qui je pense a plu au public. Pendant les 4 ans où on était sur Comédie puis sur Canal Plus, on travaillait comme des dingues et on n’a même pas réalisé qu’on était suivi et qu’il y avait un esprit « Robin ».

Vous publiez aux éditions du Cherche-Midi « La Playade », un recueil des meilleurs textes des Robins des Bois joués sur la chaîne Comédie!, puis sur Canal Plus. Après 20 ans, quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?
On s’est beaucoup amusé bien sûr, mais on a tellement travaillé. On écrivait, on jouait, on s’auto-dirigeait, on apprenait nos texte… c’était monstrueux. Ça a été une période hyper joyeuse et hyper productive. Mais quelle pression ! On était presque tout le temps en direct chaque soir pendant 4 ans. C’est cette période qui a mis fin à mon envie de jouer. Aujourd’hui mon moteur, c’est d’écrire un film, de diriger des acteurs, de réaliser, mais jouer, c’est une récréation occasionnelle.

 Pour conclure, si vous étiez Ministre de l’Education nationale… quelle serait votre première réforme ?
Nous sommes dans un système éducatif trop rigide à mon sens. J’ai commencé à lire, à apprendre, à me cultiver à partir du moment où j’avais un but, c’est à dire quand j’ai souhaité devenir acteur et qu’il fallait que je connaisse les textes, les auteurs classiques etc. J’ai adoré Shakespeare ou Voltaire parce que j’avais envie de le faire. Pour autant, je sais combien c’est difficile pour un enseignant qui a 25 ou 30 élèves devant lui d’individualiser. Est-ce que l’une des clés ne serait pas de considérer qu’un enfant qui a du mal à s’intégrer dans le système dit « général » n’est pas pour autant un mauvais élève. Il a juste besoin de s’épanouir dans une autre voie, la formation professionnelle par exemple.

J’ai participé à une opération de valorisation des apprentis avec la région Ile-de-France. Je suis intervenu comme acteur dans des stages de théâtre pour aider les apprentis à s’exprimer et pour les valoriser. En France on a déprécié toute la filière professionnelle alors qu’on a un savoir extraordinaire chez les pâtissiers, les charpentiers etc.

Donc si je suis Ministre de l’Education nationale, je développe et je valorise l’apprentissage. Ce sujet me passionne parce que ça rejoint mon parcours. Je sais ce que c’est de vouloir apprendre et de ne pas pouvoir apprendre. Et puis je vous rappelle que mon papa a fait un CAP menuisier après avoir été diplomate.