Les signes qui montrent que tu as un CP dédoublé
Tu es enseignant(e) et tu n’as pas beaucoup d’élèves. Épidémie ? Annulation des transports de scolaires ? Et si tout simplement tu avais un CP dédoublé ?
Avec neuf enfants dans ta classe, tu ne peux décemment pas envoyer un groupe de besoin à la maîtresse du RASED. De toute façon, il n’y a plus de RASED.
Tu pouvais l’improviser au dernier moment, profitant d’un rayon de soleil impromptu ou d’une baisse de motivation. C’était pratique, mais maintenant c’est fini : tu ne peux plus faire de balle aux prisonniers.
Le guide orange sur l’enseignement de la lecture et l’écriture distribué par le Ministère de l’Education nationale est ton livre de chevet. Dans ta vie tout est orange. Opérateur téléphonique, crudités, fruits… Orange is the new Bible.
Impossible de tenir jusqu’au mois de juillet. Déjà en décembre, tu commençais à avoir les premières craintes. En mars, tu faisais les yeux doux à tes collègues pour en obtenir un peu, juste un peu, histoire de tenir encore quelques semaines. Maintenant que tu as un CP dédoublé, zéro stress : tu tiens facilement l’année complète avec le carton de 25 tubes de colle Majuscule.
Tu sous-loues tes porte-manteaux dans le couloir à des élèves des classes voisines. 10 euros par mois et par porte-manteau, ça vaut le coup… de quoi se racheter des housses de siège pour la 308.
L’inspectrice est tout le temps dans ta classe pour évaluer le dispositif. Elle est là tellement souvent qu’elle a même son propre mug pour le café : « é-ve-li-ne » car le mug doit être 100% déchiffrable pour les élèves. Par contre on ne lui dit rien quand elle le dépose dans l’évier sans le laver à la fin de la récré. « Dis donc Evelyne, tu vas te sortir les doigts du cul et laver ton mug ! », on peut se le permettre avec sa collègue de CE2, pas avec l’inspectrice.
Quand tu croises à Carrefour un collègue que tu n’as pas vu depuis 4 ans, tu pratiques l’entrée en communication à l’aide des questions que se posent mutuellement deux enseignants qui se rencontrent.
Toi : Ah tiens Salut. Ça va ?
Lui : Ça va et toi ?
Toi : Ça va. Tu es où cette année ? Tu as quoi ?
Lui : Je suis à Jean-Jacques Rousseau. J’ai des CM1.
Toi : Super, et tu en as combien ?
Lui : 31, et toi, tu es où cette année ? Tu as quoi ?
Toi : Je suis à Maryse Bastié. J’ai des CP.
Lui : Super, et tu en as combien ?
Toi : Oh tiens t’as vu, c’est la semaine des gros volumes. 8,25€ les 12 boites d’haricots verts, ça vaut le coup.
Tu n’es pas comme les autres enseignants de ta circonscription. Tu affiches désormais un petit air supérieur, teinté de dédain et de mépris. Toi tu sais… les autres non. Eux, ne connaissent pas Liliane Sprenger-Charolles. Toi si.
Le temps qui t’est épargné à te battre pour te connecter et remplir tes livrets scolaires t’est gracieusement rendu pour remplir les évaluations nationales où tu entres une par une toutes les réponses de tes élèves.
Le dimanche après-midi, tu n’as besoin que d’un épisode de « L’amour est dans le pré » en replay pour préparer l’écriture dans tes cahiers du jour … et pour la semaine entière !
Tu n’as plus l’impression de faire les Activités Pédagogiques Complémentaires mais de bosser une 25ème heure avec tous tes élèves.
A la récréation, quand tu parles de tes évaluations de lecture entre le café et le Mon Chéri cerise pour tenir jusqu’à la fin de la période, tu ne dis plus :
« Shannon lit de mieux en mieux maintenant, elle lit des phrases et en plus, elle comprend leur sens. »
Mais…
« Shannon a pété les chronos cette période : 34 syllabes/ minutes, 17 non-mots/min et elle a mis 27 secondes pour lire les 29 mots du micro-texte de la séquence Français 2. »