Elle veut différencier dans sa classe : bilan, 3 blessés
Noémie Lebrun, maîtresse de CP, différencie son enseignement. Mais parfois tout ne se déroule pas comme prévu. Extrait de notre livre ParentsProfs (tome 2)
Levallois-sur-Lompray. La différenciation consiste à mettre en oeuvre, pour un même enseignement, des solutions pédagogiques différentes, de façon à s’adapter aux besoins et aux possibilités de chaque élève. Cette définition, Noémie Lebrun l’a mise en pratique ce jeudi lors d’une séance de lecture différenciée. « Au début, tout se passait bien. Nous avons découvert ensemble le texte de Cucule la libellule qui était affiché au TNI. J’ai demandé aux enfants de repérer les mots avec le son [ou]. Noah m’a proposé le mot “renard”. La routine.»
C’est au terme de ce temps de travail collectif que les choses se sont gâtées. « J’avais réparti les enfants en quatre groupes homogènes, de façon à m’adapter au niveau de chacun. J’avais prévu d’aller au fond de la classe travailler avec des élèves qui ont besoin d’un accompagnement spécifique. » Noémie pense notamment à Laura, qui passe ses journées à fabriquer un avion avec une règle et deux stylos, et à Thomas qui n’a toujours pas compris qu’une chaise servait à s’asseoir et non pas à faire du rodéo. Pendant que la maîtresse donne ses consignes, Louis, un enfant du deuxième groupe, interpelle l’enseignante, sans demander la parole, pour lui signifier qu’il n’avait plus de colle dans sa trousse. Une remarque qui provoque chez Andréa, Syllian et Damon le même type de réaction.
« Dans “colle”, il y a le son [ou] », annonce fièrement Noah pendant qu’Amina se lève pour aller prêter son stick de glue à ses camarades, faisant tomber sa boîte métallique de crayons de couleur sur le sol. Un bruit strident qui fait sursauter Lisa, laquelle, sagement occupée à grignoter le bout de son stylo bleu, se l’enfonce malencontreusement dans la gencive. Alors qu’elle invite la blessée à se rendre chez la directrice, Noémie se demande soudain pourquoi les élèves du premier groupe tiennent tant à utiliser un bâton de colle. La réponse lui saute alors aux yeux : les six CP ont mal lu la consigne et, confondant « Coche les mots » avec « Colle les mots », ils se sont mis en tête de découper leur fichier de lecture.
Gardant son calme, la maîtresse réexplique l’exercice puis retourne au fond de la classe, où l’attend Lou-Anne, élève du troisième groupe, qui a pour tâche d’écrire des phrases en autonomie. « Comment ça s’écrit “la bite” ? » lui demande la petite fille, provoquant l’hilarité générale de la classe, et plus particulièrement de Thomas, qui éclate de rire alors qu’il était en équilibre sur sa chaise.
Le rodéo s’achève ici. Son menton attrape le coin de la table et Thomas s’écroule au sol. Après l’avoir envoyé se faire soigner, Noémie demande des précisions à Lou-Anne qui reformule sa question : « Comment on écrit “la bite” dans la phrase : “Mamie, elle habite dans une grande rue” ? »
La fonctionnaire n’a pas le temps de lui répondre. Elle est interrompue par Evan, qui lui annonce fièrement ce que tout enseignant redoute d’entendre à ce stade d’une séance d’apprentissage : « Maîtresse, j’ai fini. » Noémie constate alors avec horreur que tous les élèves du deuxième groupe ont terminé leur exercice, et commencent à se lever puis à bavarder. Comble de l’horreur, les enfants du premier groupe n’ont pas encore commencé leur travail puisqu’ils cherchent le texte de lecture dans le fichier de mathématiques.
Il faut agir. Noémie Lebrun, bravant tous les interdits pédagogiques, décide de sauver sa séance du naufrage annoncé. Elle tente le tout pour le tout, et bafouille cette consigne :
« Alors, faites le dessin de la poésie dans le cahier, ou prenez un mandala et coloriez-le. »Dépitée, honteuse, mais prête à tout pour s’en sortir, elle ajoute même :
« Vous pouvez utiliser vos feutres fluo. » Noémie Lebrun n’est pas fière d’avoir recours à des activités occupationnelles pour obtenir le calme dans sa classe.
Elle en ressent presque de la honte. Sa séance d’apprentissage en lecture, axée sur la différenciation, est un désastre. L’enseignante est la troisième victime de cette séance catastrophique. Blessée dans son âme de professeur, meurtrie dans sa chair professionnelle, souillée dans sa posture, elle regarde Julia et Maël colorier sans dépasser la fleur centrale du mandala. Une lueur d’espoir s’allume alors quand le petit garçon demande à sa voisine si elle peut lui prêter son feutre rose, ce à quoi la petite répond par l’affirmative.
« Tout n’est peut-être pas perdu, se dit la maîtresse, au moins je mets en place des situations de coopération entre pairs, et je permets l’interaction de tutelle ponctuelle, même dans le cadre d’une relation dissymétrique. »◼
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