Prof, comment j’ai foiré mon rendez-vous carrière

Le rendez-vous carrière est une visite en classe de l’inspectrice suivie d’un entretien professionnel.

Avant, on appelait ça une inspection. L’enseignante reçoit en classe son inspectrice, lui présente des séances de haute voltige pédagogique puis s’entretient avec elle dans une pièce sombre de l’école en se grattant le bas du cou parce qu’elle est un peu stressée et parce qu’elle a acheté un nouveau pull 70% laine. Oui c’est la règle à l’Education nationale, quand l’inspectrice vient dans la classe, on s’habille moins pire que d’habitude.
Aujourd’hui l’inspection s’appelle le rendez-vous carrière. La raison ? Proposer un véritable entretien professionnel comme dans le secteur privé avec bilan de compétences et perspective de carrière. La vraie raison ? Réduire le nombre d’entretiens entre l’enseignant et son supérieur hiérarchique au nombre de 4 en 40 ans de carrière parce que ça permet de faire des économies.
Tu es prof et tu as un rendez-vous carrière ? Voici le pire qu’il puisse t’arriver.

Damned : Tu as mal dormi. Tu es en retard et tu te gares précipitamment sur le parking de l’école. Pressée, tu défonces le pare-chocs de la voiture noire qui était derrière toi. Une Peugeot 3008, celle de ton inspectrice qui est encore à l’intérieur en train d’écouter l’interview de Léa Salamé sur France Inter. Oui, avant une longue journée de travail, l’inspectrice aime se vider la tête.

Pas de chance : Tu ne pourras pas interroger Pierre-Vincent, ton élève qui sait tout sur tout. Il est absent. Tu fondais tous tes espoirs en lui. En lui donnant la parole régulièrement, tu montrais à l’inspectrice combien ta pédagogie permet à chaque élève de briller. En attendant, c’est ton front qui brille. Ton déodorant te lâche. Tu as chaud. Tu stresses, tu piétines, tu trépignes. On dirait Jean-Michel Blanquer en train de danser dans un gymnase.

Malheur : Tu as demandé à tes élèves d’amener une reproduction d’un tableau célèbre pour ta séance d’arts visuels. Pierre a apporté une copie de L’origine du monde de Gustave Courbet.

C’est fâcheux. Tu demandes aux enfants ce qu’ils ont fait hier, et note au fur et à mesure leurs réponses au tableau en écrivant lentement avec un magnifique tracé de lettres. Tu es fière de montrer à l’inspectrice que tu fais exactement ce qui est préconisé dans les programmes. Sauf quand Léa te dit qu’elle a fait de la trotinette… trotinnette… trottinete ? Devant ta supérieure hiérarchique qui ne te lâche pas des yeux, tu ne sais plus écrire un mot pourtant simple de la langue française. Tu lèves la tête, regarde le néon au plafond et sent s’abattre sur toi la colère du Dieu Bescherelle. Maline, tu demandes à Léa si elle a aussi fait du vélo.

Pauvre de toi : Tu as donné un extrait de l’album Loulou de Grégoire Solotareff, et tu as demandé à tes élèves d’analyser pourquoi l’histoire est une évocation la fin de la guerre froide, puis en quoi les personnages sont une représentation anaphorique de Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev. En CP, c’est légèrement ambitieux.

La poisse : Tu as un élève hautement perturbateur dans ta classe, du genre t’en cauchemardes la nuit et t’as une boule dans le ventre quand tu le vois arriver le matin. Heureusement il est absent ce matin et tu peux dérouler devant l’inspectrice cette magnifique séance de grammaire où les interactions entre élèves sont réelles et efficaces. Tu aperçois ton reflet dans la fenêtre de la classe, tu te trouves belle pédagogiquement et tu vois en toi une grande héroïne de la didactique contemporaine. Tu vois aussi ton cauchemar arriver par la grille de la cour de récréation. Il n’est pas absent, juste en retard.   

Quelle infortune : Tu as oublié de mettre ton portable en mode vibreur. Ton copain appelle. Retentit alors dans la classe sa sonnerie personnalisée : I want your sex de George Mickaël.

Décidément tu as la scoumoune : Tu as préparé une magnifique animation interactive sur le tableau numérique de ta classe. Tu y as passé la nuit. Par contre tu aurais dû dormir un peu. Ça t’aurait évité de perdre la mémoire. Le mot de passe pour démarrer l’ordinateur, c’est toujours pratique.

Aïe aïe aïe : La manipulation c’est la base, tu as préparé un super jeu de carte en conjugaison, mais Élisa vient de vomir dessus.

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