Au secours, nous sommes moroses et ronchons

On rend visite à Jean-Roger.

Notre psychologue chauffeur routier Jean-Roger choisit régulièrement un courrier parmi les nombreux reçus chaque semaine. Aujourd’hui, il répond à la question de Boualem et Stéphane qui habitent à Charleville-Mézières. Rien que pour cela, nous leur souhaitons beaucoup de courage. Voici leur courrier.

❓La question

💬 Bonjour Jean-Roger. Nous nous appelons Boualem et Steph. Depuis quelques années, nous écrivons des blagues sur différents sujets, et particulièrement sur l’actualité du monde de l’éducation. Au début de notre duo, on écrivait des articles légers comme par exemple le bingo de la kermesse de l’école ou les pires questions de parents à la réunion de rentrée. Aujourd’hui, l’actualité nous impose d’écrire sur l’assassinat d’un enseignant dans son propre établissement.

En pensant à Dominique Bernard, Samuel Paty ou Agnès Lassalle, nous sommes profondément tristes. D’habitude, nous parvenons à transformer notre inquiétude et notre colère en mots, d’une part pour se libérer et d’autre part pour les proposer à nos lecteurs. Mais ce matin, rien ne vient. Nous sommes inquiets car même l’extrait où Jean-Michel Blanquer déclarait récemment sur BFM qu’ « il aimait les enseignants » ne nous a pas inspirés alors que c’est à la fois abject et cynique.

Jean-Roger, aujourd’hui nous sommes à la fois moroses et ronchons. Comment retrouver l’envie ?
Boualem et Steph. Charleville-Mézières

❗ La réponse

Jean-Roger est psychologue, psychiatre et chauffeur routier. Il consulte régulièrement sur la RN60, à hauteur de Courtenay. Voici sa réponse.

💬 Bonjour Boualem et Steph.
Vous me faites part de votre tristesse et de vos doutes. En tant que psychologue chauffeur routier, je ne saurais trop vous conseiller de prendre votre temps, de ne pas brusquer les choses mais surtout, de ne pas vous arrêter. C’est ce que je fais avec mon 38 tonnes quand il souffre dans une montée. J’y vais doucement, sans pression : j’appelle ça l’état de résilience mécanique.
Et puis je vous connais assez pour savoir que vos textes sont votre carburant pour tenir le coup dans un monde devenu fou.
Sur un plan plus personnel, je vous invite également à continuer d’écrire. Dois-je vous rappeler que c’est vous qui m’avez inventé ? Sans vous, je n’existerai pas. C’est vous qui, alors que vous aviez trop bu lors d’une séance d’écriture de votre premier manuscrit, m’avez imaginé, trouvé ce rôle de psychologue chauffeur routier, et baptisé Jean-Roger. C’était il y a 10 ans, vous étiez plus jeunes, plus insouciants.

Vous avez vieilli, le monde a changé. Je lis vos textes chaque jour depuis 10 ans. Je vois bien qu’ils sont de plus en plus durs et de plus en plus acides. Et je pense que malheureusement, ils le seront de plus en plus. Alors je vous propose une chose. Moi, je continue à rouler dans mon camion, le plus longtemps et le plus loin possible. Je serai toujours là si vous avez besoin de me parler. Vous, vous reprenez le chemin de l’écriture. Vous vous accrochez au clavier, et vous écrivez.

Ecrivez des textes futiles, utiles, féroces ou chagrinés mais écrivez.
Ecrivez pour divertir, pour raconter, pour témoigner. Ecrivez pour faire rire, pour mettre des mots sur votre colère, pour partager votre tristesse. Ecrivez à rebrousse-poil, à contre-sens des discours officiels mais écrivez.
Ecrivez pour que je puisse continuer ma route, pour que je puisse continuer à vous lire, pour que nous restions tous ensemble. Ecrivez le plus longtemps possible et surtout, quand vous écrivez, n’ayez de cesser de penser à Agnès, Samuel et Dominique.
Voilà, bisous bisous.